Le ministre envieux

Auteur : Al-Ibchihi (1388 – 1446) – Traduction : Fahd Touma.

On raconte qu’un homme, bédouin parmi les arabes, entra dans la cour du calife d’Al-Mu’tassem. Celui-ci l’honora, se rapprocha de lui et l’établit comme commensal. L’homme se mit même à fréquenter le harem du calife sans toujours en demander l’autorisation.

Le vizir d’Al-Mu’tassem prit ombrage de la présence du bédouin auprès du calife et l’envia à cause de cette distinction.
Il se dit en lui-même :
« Si je n’invente pas une ruse contre ce bédouin afin de le tuer, il s’emparera du cœur de l’Emir des croyants et l’éloignera de moi. »

Il se mit à se montrer bienveillant envers le bédouin jusqu’à ce qu’il l’eut emmené dans sa maison. Là, il lui prépara un mets extrêmement aillé. Lorsque le bédouin eut mangé de ce plat, le vizir lui dit :
« Garde-toi d’approcher l’Emir des croyants car s’il sent dans ton haleine l’odeur de l’ail qu’il déteste, il en sera incommodé et s’en offusquera. »

Puis le vizir alla trouver l’Emir, le prit à part et lui dit :
« O Emir des croyants, le bédouin raconte aux gens que tu as l’haleine fétide et qu’il a failli mourir de l’odeur de ta bouche ».

Lorsque le bédouin se rendit auprès de l’Emir, il plaça la manche de son habit sur sa bouche de peur d’incommoder le calife avec l’odeur de l’ail. Lorsque l’Emir le vit faire de la sorte, il se dit :
« Ce que m’a rapporté le vizir au sujet de ce bédouin est donc vrai. »

Alors l’Emir prépara une lettre à l’un de ses gouverneurs dans laquelle il écrivait :
« Quand cette lettre te parviendra, tu couperas le cou de celui qui te l’auras apportée. »
Puis il envoya chercher le bédouin, lui remit la lettre et lui dit :
« Va la porter au gouverneur et reviens me donner la réponse. »
Le bédouin prit la lettre et sortit.

Au moment où il franchissait la porte, le vizir l’aperçut et lui dit : « Où vas-tu ainsi ? »
Le bédouin répondit :
« Je vais porter cette lettre de l’Emir des croyants au gouverneur. » Le vizir se dit :
« Une fortune considérable sera donnée à ce bédouin pour cette mission. »
Il lui dit :
« O bédouin, que dirais-tu de quelqu’un qui t’épargnerait la fatigue du voyage, et qui, en plus, te donnerait 2000 dinars ? »

Le bédouin répondit :
« C’est toi le maître et c’est toi qui commande. Quel que soit l’avis que tu donnes, je le suivrai. »
Le vizir dit alors :
« Remets-moi la lettre. »
Le bédouin la lui remit. Le vizir lui donna 2000 dinars et s’en alla, avec la lettre, vers l’endroit où devait aller le bédouin.

Lorsque le gouverneur lut la lettre, il donna l’ordre de trancher le cou du vizir, ainsi qu’il lui avait été ordonné par le calife.

Des jours après, le calife se rappela du cas du bédouin et demanda aussi des nouvelles du vizir. On lui apprit que ce dernier n’avait pas paru depuis un certain temps, tandis que le bédouin se trouvait toujours en ville.

Le calife s’en étonna et donna l’ordre qu’on lui amène le bédouin.

L’homme vint devant lui et le calife lui demanda de ses nouvelles.
Le bédouin lui raconta toute l’histoire entre lui et le vizir.

Le calife lui dit :
« Toi tu as raconté aux gens que j’avais l’haleine fétide ! » Le bédouin répondit :
« Que Dieu m’en préserve, O Emir des croyants, que je parle de ce dont je n’ai pas connaissance. »
Il ajouta que le vizir jaloux avait ourdi cette machination contre lui et apprit au calife comment le vizir lui avait préparé à manger un plat truffé d’ail et ce qu’il était advenu avec lui.

L’Emir des croyants dit alors :
« Que Dieu maudisse la jalousie ! Mais elle est ô combien équitable. Elle a commencé par tuer celui qui la nourrissait. »
Alors il accorda une tenue d’honneur au bédouin et fit de lui son vizir.

Version arabe

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